Kito de Pavant
L’ile à Vache
A notre arrivée à Santiago de Cuba, nous avions rencontré, Philippe Gros et moi, un couple de plaisanciers sur leur sloop. Ils arrivaient tout juste des Iles Vierges et nous racontaient leur escale merveilleuse en Haïti.
Quant à nous, nous arrivions de la métropole en avion. Après une brève escale à la Havane, nous avions pris place dans un Tupolev d’un autre âge jusqu’à Santiago où nous attendait le Nirvana, un Outremer 55.
A la sortie de l’aéroport, il avait fallu négocier avec les douaniers car nous transportions quelques pièces de rechange pour le catamaran, notamment une hélice et un petit ballon d’eau chaude, ce qui se traduit en espagnol par « una bomba » !!! Imaginez-nous au poste des douanes :
« Avez-vous quelque chose à déclarer?
- Si señor, solamente una pequenita bomba!!!!! »
Nous fûmes ensuite accueillis par des amis français et une série de mojitos qui n’avaient pas tardé à accélérer vivement le processus dévastateur du jet lag ...
Notre mission était de ramener le bateau de Cuba en Martinique. Nous n’étions pas pressés et avions organisé notre voyage afin de récupérer quelques autres bons copains, les uns à St Domingue, les autres à Union aux Grenadines.
Nous n’avions pas prévu de nous arrêter en Haïti mais le descriptif que nous en avaient fait nos nouveaux amis ne nous avait pas laissé de marbre.
Une fois le bateau rempli d’eau de gasoil et de vivre frais, nous voilà parti vers l’est. Il faisait beau et nous commencions à nous adapter au décalage horaire. Nous passions la journée au sud de cuba, au large de l’anse de Daïquiri puis, de la moins poétique baie de Guantanamo.
Il nous fallu plus de trente six heures pour rejoindre Haïti. La nuit était tombée et plus aucune lumière n’était visible sur l’île, faute d'électricité. Quel contraste avec ce que nous pouvons connaitre sur la Riviera !!!
Nous longions la côte à quelques miles de distance jusqu’au lieu que nous avaient décrit nos amis : l’Ile à Vache.
Dans cette nuit noire sans lune, nous avancions prudemment au ralenti et grâce à notre radar, les cartes électroniques du bord et les croquis récupérés quelques jours plus tôt, nous trouvions, non sans mal, la fameuse baie. Nous jetions l’ancre par 3 mètres de fond. Une fois les moteurs coupés, il n’y avait plus aucun bruit.
Le vent était nul, la mer lisse comme sur un lac et le ciel illuminé d’étoiles. A terre, il n’y avait aucun signe de vie.
Nous profitions de ce calme olympien pour nous offrir un petit mojito accompagné en musique par Eric Clapton et son enregistrement « Unplugged ».
Vers une heure du matin, la fatigue accumulée eut raison de nous.
Nous fûmes réveillés par des chants autour de nous. Le soleil n’était pas encore levé. Nos paupières encore collées, nous découvrîmes alors un spectacle ahurissant. Plusieurs dizaines de barques multicolores glissaient sous voiles vers le fond de la baie. Et chaque équipage chantait en chœur une douce chanson.
Les voiles de ces coques en bois, rapiécées de toute part, formaient un patchwork pastel de toute beauté.
Hypnotisés par la scène, nous n’avions pas vu le village se dessiner dans l’aube naissante.
Sur un tronc d’arbre creusé à la machette, un groupe d’enfants approchait, puis un autre, puis un troisième.
Ils parlaient tous un parfait français.
Immédiatement, le dialogue s’installait. Ils ne tardaient à nous demander, à notre grande surprise, des livres, puis du fil et du tissu pour réparer leurs voiles.
Ils nous demandaient également s’il nous manquait quelque chose. De l’eau ou à manger !!!Un comble quand on sait qu’Haïti est l’un des pays les plus pauvres de la planète et que la famine y est profonde.
Il ne nous manquait rien sauf peut être ces petits moments de bonheur que l’on ne peut connaitre que dans des coins perdus comme celui là.
Nous vidions alors les cales du Nirvana. Nous donnions tout ce que nous pouvions, persuadés que nous leur faisions du bien.
Ils nous remerciaient et retournaient au village car l’école les attendait.
Nous avions appris que le village était à l’écart de la grande île, que tout y était très bien organisé et il nous avait semblé évident que ces gens-là étaient heureux, vraiment.
Malheureusement, il fallait lever l’ancre. On nous attendait un peu plus loin, à Boca Chica. Personne, ici, ne devait connaitre la signification du mot « pressé »... Mais je jurais au fond de moi de revenir ici avec des rouleaux complets de tissus à voile et de rester un peu plus afin d’essayer de comprendre comment ces villageois avaient réussi à conjurer leur sort si brillamment.
Récemment, j’apprenais par un de ces enfants retrouvés par hasard dans le sud de la France sur une pirogue tahitienne lors d’une opération pour l’un de nos sponsors, que l’ile avait été envahi par de riches Canadiens qui y avaient construits de luxueuses habitations. L’équilibre avait été détruit et la vie sur l’ile était devenue bien plus chaotique...
Kito de Pavant pour le Voyage Transatlantique, mai 2016