Kito de Pavant

Ciudadela

 

Adolescent, je passais de super vacances à port Camargue. Elles étaient entrecoupées de quelques petits boulots, histoire de gagner trois sous. Entretien de piscines ou d’espaces verts, creusement de fosse sceptique, maçonnerie, construction navale, tout était bon à prendre... Le « Maso », puis d’autres bateaux de régate étaient amarrés au pied des deux marinas où nous habitions avec ma famille et l’été, on pouvait inviter nos copines à prendre l’air du large…Tous mes copains faisaient du bateau. Ils habitaient dans tous les recoins du port et nous circulions en bateau de soirée en soirée… Nous étions toujours une ribambelle à table et ma mère, imperturbable, nous préparait ses fameux et délicieux « magmas » à base de pâtes, de sauce tomate, d’herbes de Provence et de fromages.

Mes compétences de régatier étaient reconnues, suffisamment en tout cas pour décider le père de Kafi, un pote déjanté de Grenoble, de nous confier son bateau pour partir en croisière ! Il s’agissait d’un Super Arlequin, excellent sloop de 9 mètres. On n’en revenait pas. Nous avions tout juste entre 15 et 16 ans et on nous laissait ce gros bateau pour partir où on voulait ! Le plus dingue était que les 8 parents étaient Ok pour cette folle aventure… Soit ils avaient vraiment confiance, ce dont je doutais, soit ils étaient totalement inconscients, où alors, ce qui était beaucoup plus plausible, ils souhaitaient tout simplement se débarrasser définitivement de nous ! Peu importe. J’avais la responsabilité du bateau car j’étais celui qui avait le plus d’expérience. Autant dire que les autres n’en avaient aucune !

Toujours est-il que Kafi, Eric, Philippe et moi quittâmes Port Camargue pour 15 jours d’aventures à bord de « Cosinus ». Le père du copain était prof de maths !

Kafi, grand, blond, rigolard, était, étonnamment, le plus stressé de nous quatre, redoutant sans doute la colère de son paternel en cas d’avarie. Eric était l’un de mes meilleurs copains de l’époque. Je connaissais toute la famille Chevalier, qui était installée dans le Beaujolais. Bruno et Eric, qui avaient le même âge que moi, venaient chaque année à Port Camargue dans leur marina, voisine de la nôtre. Je faisais souvent les vendanges chez eux, ce qui était assez amusant. Quant à Philippe, il était Lyonnais, avait pris récemment un mauvais coup sur la tête en jouant au hockey sur glace et nous faisait beaucoup rire.

A l’aide de la Radio Gonio, dont j’apprenais à maitriser les mystères la veille du départ, nous arrivions deux jours plus tard en vue de Minorque, sains et saufs !

Nous avions prévu de nous abriter dans l’immense baie de Fornells.

A notre approche, un gars sur la digue du petit port nous fait des grands signes avec ses bras. Génial, l’accueil des Minorquins ! Nous lui répondions tous en choeur avec des gestes amicaux sans comprendre qu’en réalité, le monsieur nous indiquait le haut-fond vers lequel on se dirigeait, sous grand voile seule ! Quelques secondes plus tard, on s’échouait lamentablement sur le caillou en question, et déchirions notre grand-voile dans le choc. Première leçon !

Ce même soir, nous regardions un voilier se mettre au mouillage avec le spi parfaitement enroulé autour de l’étai. L'équipage n’avait visiblement pas réussi à l’affaler.

Nous avions repéré à bord une charmante demoiselle de notre âge.

La nuit tombée, alors que les occupants avaient quitté leur voilier en annexe, sans doute pour dîner à terre, nous avions rejoint le bateau à la nage et en quelques minutes l’un d’entre nous était monté dans le mât et avait déroulé et affalé le spi.

Ni vu, ni connu !

A leur retour, ils avaient eu du mal à reconnaitre leur embarcation et se sont sans doute posé beaucoup de questions sur ce qui avait bien pu arriver pendant leur absence…

On apprenait à choisir nos mouillages, à poser l’ancre dans l’eau turquoise, à déraper, à mouiller de nouveau, à éviter, à réparer les petites choses qui cassaient pendant la journée, à faire de la croisière, quoi !

L’ambiance était parfaite. On se régalait. Minorque était un paradis pour nous. On rencontrait du monde. Les autres plaisanciers étaient assez surpris de nous voir si jeunes, seuls sur ce bateau de 9 mètres et nous invitaient souvent à leur bord.

À Ciudadela, nous nous sommes amarrés à couple d’Ondine, un splendide maxi américain de 25 mètres de long. Du quai, notre petit « Cosinus » était parfaitement invisible et, lorsque nous nous retrouvions sur le quai après avoir traversé l’immense pont de notre voisin, nous nous faisions passer pour l’équipage du yacht. Evidemment, nous n’étions absolument pas crédibles, mais cela nous faisait beaucoup rire.

Nous étions en liberté, vraiment libres. La vie nocturne de Ciudadela nous fascinait.

Mais nous étions redevables, conscients de la chance inouïe que nous avions à notre âge, et donc, au final, très responsables.

Notre croisière continua vers la grande île de Majorque et sa capitale Palma mais le temps passa si vite que bientôt, il fallut repartir vers Port Camargue.

Nous étions revenus très fiers d’avoir accompli ce périple sans problème particulier et je pense que nous avions tous beaucoup grandi pendant ces deux semaines….

Depuis, je suis retourné souvent à Ciudadela. J’adore cette ile de Minorque. Un peu à l’écart des deux autres îles des Baléares que sont Majorque et Ibiza, elle a gardé son charme d’antan. Les criques au sud sont splendides quand la côte nord reste très sauvage.

Il faut aller à Ciudadela en juin, pendant les festivités de la St Jean, qui durent une semaine. Toute l’île est en fête avant l’arrivée de la cohorte de touristes.

La grande arène naturelle du port se prête merveilleusement aux spectacles équestres médiévaux, à des concerts, et, comme le veut la tradition, à des batailles de noisettes : sur la place centrale de la ville, dans l’après midi, on déverse des dizaines de sacs de noisettes de la saison précédente et le jeu consiste à se les lancer à travers la figure dans un crépitement impressionnant.

Le soir, sur les terrasses, il faut goûter le fameux Gin de Minorque, soit dans la sangria locale, soit en y ajoutant du tonic, ou du citron comme dans la spécialité de l’île, la célèbre Pomada….

 

Kito de Pavant, pour le Voyage Transatlantique 2016