Bertrand de Broc

New-York- les Sables... cette Transat, je ne la ferai pas cette année. Ca ne me ressemble pas : j'adore partir ! Mais, nous le savons tous, ce qui compte, c'est aussi d'arriver.

 

Après les épreuves, la tension, l'effervescence de la course et parfois les fortunes de mer, l'arrivée, reprendre contact avec le Monde est un moment complètement à part. Aucun de mes retours ne se ressemblent. 

 

Il y en a un qui m'a laissé un souvenir très marquant.

 

Pendant le Vendée Globe 1996, après 85 jours de course, j'ai été contraint de m'arrêter au large d'Ushuaia. Mon bateau, Votre nom autour du monde, n'avait pas de moteur qui me permette de rejoindre Ushuaia. Le Valala, un monocoque de vingt-cinq mètres, m'a pris en remorque dans la nuit, dans une partie assez large du canal. Ils m'ont lancé une amarre, je les ai entraperçus un instant puis ils m'ont tracé.

 

J'avais envie de parler, notre conversation par VHS a duré plusieurs heures. Le skipper, Pascal Boimard, avait couru avec Isabelle Autissier New-York-San Francisco. Nous parlions de tout, de la course, de la météo locale, des travaux à faire sur mon bateau. Il faisait frais, depuis la bulle je suivais les lueurs de mon remorqueur. La conversation me tenait éveillé. Je n'avais pas dormi depuis un bon moment et par instants je m'effondrais. Bloqué sur son cap sous pilote automatique, le bateau s'engageait alors vers la côte, le Valala m'appelait en hurlant dans le combiné de la radio, puis nous reprenions la conversation. 

 

En arrivant à Punta Arenas, le Valala a mouillé et ils sont venus me chercher avec un zodiac. J'ai laissé mon bateau seul, encore en remorque, dans la baie. J'avais une curieuse impression : je n'avais vu personne depuis plus de 85 jours, et j'arrivais là.

 

Pascal était parti à terre pour tenter de régler des difficultés administratives, je me suis retrouvé seul avec l'hôtesse du Valala. Elle m'a glissé "Profite du silence". Je me suis assis à la table du bateau. Ceux qui fréquentent Ushuaia connaissent la qualité de ce silence. Dans ce bateau, elle est partie sans bruit vers la cuisine préparer un petit-déjeuner. J'ai repris contact avec notre monde par le silence. En course, il n'y a jamais de silence profond, excepté peut-être par grand calme, mais alors on ne pense plus qu'à relancer le bateau, on espère le bruit. Dans cette baie, le petit jour était paisible, la course était finie, j'étais hors-jeu pour la deuxième fois dans le Vendée Globe, et durant quelques minutes, une forme de sérénité a tout envahi.

 

Ce n'était ni la ligne d'arrivée, ni aucun lieu convenu, c'était juste là, un endroit sans cérémonial. Il faut si peu de temps pour revenir. Quelques minutes, quelques mots simples "C'était bien? Ca va?". Mais ce sont de vraies bonnes minutes, tu regardes ceux qui te parlent, ils te fixent, curieux de ton histoire. C'est presque plus agréable que d'arriver aux Sables d'Olonne. En finissant la course, classé, je n'aurais jamais connu une arrivée pareille.

Je n'ai connu de pareilles ambiances qu'à cet endroit.

 

Bertrand de Broc pour le Voyage Transatlantique, mai 2016