Alan Roura
J’avais 7 ans lorsque j’ai traversé l’Atlantique pour la première fois. Je me souviens voir disparaître la terre à l’horizon, inconscient de ce que le la mer nous réservait, ses possibles dangers, et surtout la sensation d’être seuls au monde, ma famille et moi, pendant des jours et des jours. De mes yeux d’enfant, je voyais ça comme une grande balade sur l’océan. Mon père, lui, qui était le skipper avec trois enfants à bord, n’a pas du avoir la vie si facile. Le souvenir le plus marquant de cette transat, ce sont les orques qui sont venues au tableau arrière du bateau pendant presque une heure. Je les regardais avec passion, toujours sans voir le danger. C’est en voyant la tête de mon père que j’ai compris que ce n’était pas forcément quelque chose de très drôle. Une sensation que j’ai retrouvée en 2013, seul sur mon Mini 6.50, un requin baleine de 10 mètres cherchant à s’abriter du soleil sous ma coque… Un coup de queue perdu et je me retrouvais à l’envers. Il y avait de quoi faire de l’huile. Une transat peut être simple, à glisser jusqu’aux Caraïbes, mais selon les saisons, on peut aussi vivre un véritable enfer ! Mais elles sont et surtout, restent, toutes aussi belles les unes que les autres.
Ma plus belle restera ma première en solitaire, lors de la Mini Transat 2013. Je n’avais que 20 ans, un voilier de 6,50m en bois, que j’avais refait de mes mains. Là, j’ai vraiment compris que ce que j’étais en train de faire n’avait rien d’anodin et qu’en mer, tout et n’importe quoi peut arriver. Surtout en solo. Mais il ne faut pas voir le danger partout, ou du moins l’oublier de temps en temps pour simplement profiter de ces moments que la grande bleue nous offre. Car c’est cette évasion qu’on vient chercher. En course au large, on se bat chaque jour, à trouver les budget, préparer le bateau, le marin... C’est une victoire en soi que de passer la ligne pour une transatlantique en course, en solitaire comme en équipage. J’en suis à ma troisième, et sur chaque ligne de départ, ça ne loupe pas : j’ai la boule au ventre qui s’installe. Pas forcément de peur, plus par fierté. Le gros du boulot se fait à terre, c’est donc notre récompense que de s’élancer en mer. Se retrouver au milieu de l’océan, à faire corps avec son bateau. J’adore ça. Et puis batailler avec des marins de renom. Se ressourcer, se surpasser, se tenir prêt à tout, à réparer son bateau, seul, sans aide, ou à aller chercher un concurrent en perdition. Il n’y a pas de grand ou petit marin, chacun vit sa course ou son aventure comme il le veut. Mais au final, on est tous là pour la même raison : tenir tête, essayer d’apprivoiser cette mer qui nous fascine tant et qui, pourtant, aura toujours le dernier mot sur nous. On n’est qu’un bonhomme sur une coque, grande ou de noix, et la nature est bien plus forte que nous ! C’est têtu, un marin...
Alors pourquoi transater ? Un océan, une fois traversé, c’est fait et donc pas à refaire ? Mais non, une transat peut se faire du Cap Vert à la Barbade, en une semaine pour un bateau de course. Et ça peut aussi être une Transat Jacques Vabre, du Havre au Brésil, soit presque un quart du tour du globe. Chaque transat n’est pas la même, chacune des miennes m’a apporté une expérience et me laisse des souvenirs différents. Deux en voyage, trois en course. C’est à chaque fois une nouvelle histoire à raconter, de nouvelles anecdotes. Ma dernière date d’il y a seulement quelques jours, entre les Canaries et les États-Unis, sur mon Imoca afin de me qualifier au Vendée Globe. Une transat qui semblait simple et pourtant, les quatre derniers jours, le diable est venu me prendre. Une réparation dans le mât à 25 mètres de haut, avant de prendre 60 noeuds de vent jusqu’a la ligne d’arrivée. Je peux vous dire que j’étais content d’avoir « bouffé du milles » avant de me lancer dans cette aventure, car ce n’est pas rien de courir en solitaire sur de telles machines. Je me suis surpassé comme jamais, j’ai appris, j’ai grandi. Car j’ai encore beaucoup à apprendre.
Je ne suis pas ce qu’on peut appeler un « grand marin », mais je pense en être un vrai... J’aime ce que je fais, c’est aujourd’hui devenu ma vie. L’Atlantique est devenu mon terrain de jeu, ou l’est depuis presque toujours en fait. C'est pourquoi le Vendée Globe m’inspire, m’appelle, me fait envie. Besoin de voir de nouveaux horizons. Je ne me vois pas faire autre chose que de courir sur les océans, faire naviguer des bateaux de légende, partager leur histoire avec le monde. Ce ne sont pas de simples bouts de plastique pour moi, de simples outils de travail. J’aime les bateaux qui ont vécu des choses, qui ont une âme. En mer, c’est notre meilleur ami, sans lui rien de ce que l’on fait ne serait possible. C’est grâce à eux qu’on arrive à bon port. Ne pas avoir confiance en son bateau est une des pires choses qu’il puisse arriver à un marin. Mais il me faudrait une trilogie comme Le Seigneur des Anneaux pour raconter ce que j’ai vécu sur l’eau jusqu’à aujourd’hui. Je m’y mettrai peut-être un jour… Je ne suis pas écrivain, mais j’ai toujours adoré écrire en mer. Dès que j’ai un moment, prendre un bout de papier et écrire nos histoires. Sauf qu’en général, personne n’en voit la couleur. Mais ça me permet de mettre des mots sur ce que je vis, d'en garder une trace. Même si un bon paquet de carnets, une fois noirci, a terminé au fond de l’océan… Cette fois, ce texte-ci restera !
Alan Roura pour le Voyage Transatlantique, mai 2016